Le papier monnaie
Marco Polo (1254-1324), Le Devisement du monde ou Livre des Merveilles
Récit de 1299, copié à Paris vers 1410-1412.
Enluminure par Maître d’Egerton. Manuscrit sur parchemin, 299 feuillets, 42 x 29,8 cm
BnF, département des Manuscrits, Français 2810, fol. 45
© Bibliothèque nationale de France
Sous la Dynastie Song (960-1276), le commerce de la région du Sichuan est tellement prospère que la monnaie de cuivre est insuffisante. Certains marchands émettent une monnaie privée « Zhu Quan » en papier de mûrier. Ces billets sont garantis par une réserve monétaire (en pièces ou en sel et plus tard en or et argent). En 1024, le gouvernement s’assure le monopole d’émission et Kubilaï achève le processus en faisant du papier monnaie le seul moyen d’échange légal. C’est sous la Dynastie Ming (1368-1644) qu’à partir de 1380, l’émission des billets est confiée au ministre des Finances. Les guerres et les dépenses de la cour impériale vont à plusieurs reprises provoquer de l’inflation et des crises financières. En 1455, l’émission de papier-monnaie est alors arrêtée pour revenir au numéraire classique d’or, d’argent et de cuivre.

Comment le Grand Khan fait utiliser comme monnaie à travers tout son pays des écorces d'arbre qui ressemblent à du papier-monnaie
C'est à Cambaluc que se trouve l'Hôtel de la Monnaie du Grand Khan. Celui-ci tire à l'évidence un parfait et juste profit de la monnaie qu'il y fait faire. Ses hommes ramassent l'écorce du mûrier, cet arbre dont les feuilles sont mangées par les vers qui produisent la soie, et qui abondent dans la région. Ils retirent la peau délicate qui sépare le bois de l'arbre de l'épaisse écorce extérieure. Cette peau est blanche et fine comme du papier ; ils la noircissent. Ils la découpent ensuite en feuilles de papier-monnaie. Le plus petit billet vaut un demi-tornesel, puis un tornesel, un demi-gros d'argent de Vénise, puis cinq gros, six gros, dix gros, et ensuite un besant d'or, deux besants d'or, trois, quatre et cinq besants d'or. Et ainsi jusqu'à dix besants d'or. Et tous ces billets portent le sceau du seigneur. Sans rien débourser, le Grand Khan en fait faire chaque année une telle quantité qu'il pourrait en payer la richesse du monde entier. Le Grand Khan se sert de ces billets pour payer ce qu'il doit. Toutes ses provinces, royaumes et terres doivent les utiliser, de même que ses sujets, partout où il a pouvoir et autorité. Personne, pour autant qu'il tienne à la vie, ne se risque à les refuser, il serait aussitôt puni de mort. D'ailleurs tous les acceptent volontiers. Sur les terres qui relèvent du Grand Khan, les gens les utilisent comme si c'était de l'or fin pour payer les marchandises qu'ils achètent ou qu'ils vendent. C'est une monnaie si légère que celle qui vaut dix besants n'en pèse même pas un.
Les marchands qui viennent d'Inde ou d'ailleurs n'osent vendre leur or, leur argent ou leurs perles à nul autre qu'au Grand Khan.
Le Grand Khan a nommé pour évaluer leurs marchandises douze de ses barons, hommes sages et compétents. Ceux-ci [achètent] aux marchands leur or, leur argent et leurs perles, qu'ils leur paient largement avec ces billets de banque. Et eux les acceptent très volontiers, car personne ne leur en donnerait autant, et ils en sont payés comptant. Il y a aussi qu'avec cette monnaie ils peuvent acheter tout ce qu'ils veulent partout et qu'elle est plus légère. Et le seigneur achète tant de leur or chaque année que ce sont des sommes infinies qu'il paie avec cette monnaie qui ne lui coûte rien.
Plusieurs fois par an, il fait proclamer à travers la cité que quiconque possède de l'or, de l'argent, des pierres précieuses ou des perles, les porte à l'Hôtel de la Monnaie, qu'il en sera bien et largement payé. Et les gens les portent volontiers, car personne d'autre ne leur en donnerait autant ; la quantité qu'ils y apportent est fabuleuse. Mais certains qui ne veulent pas s'en défaire les gardent. Ainsi le Grand Khan possède-t-il toute la richesse de ses terres.
Lorsque, malgré leur solidité, ces feuilles de papier-monnaie sont abîmées, les gens se rendent à l'Hôtel de la Monnaie. Moyennant trois pour cent, on leur en donne des neuves. Quand un seigneur ou quiconque souhaite de l'or, de l'argent ou des pierres précieuses pour sa vaisselle ou quelque autre riche ornement, il l'achète à l'Hôtel avec ces billets. Je vous ai expliqué comment et pourquoi le Grand Khan est assurément l'homme le plus riche du monde. Je vais maintenant vous raconter les grandes seigneuries qui relèvent de son autorité.
 
 

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