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Planche du Yoshivara, par Outamaro (Séro Nenjiu Ghiosi, 1803)

Le Japon Artistique, documents d’art et d’industrie réunis par S. Bing
Planche du Yoshivara, par Outamaro (Séro Nenjiu Ghiosi, 1803)
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« En voyant la façon dont les japonais ont coutume de rendre la figure féminine, une double remarque d’abord s’impose : autant la forme des visages et la conformation des traits dans les œuvres d’un même artiste étonnent par une similitude souvent poussée jusqu’à la monotonie, autant la différence est tranchée entre les types imaginés par des maitres différents.
Chacun – nous ne parlons, bien entendu, que de ceux qui ont fait œuvre d’invention personnelle – chacun d’eux s’est forgé un idéal et sa manière, auquel il s’arrête, et qu’il répète à plaisir. La raison d’être de ce phénomène réside dans l’influence de certaines modes, par lesquelles le peintre était entrainé lorsqu’il ne s’en est pas fait lui-même l’initiateur. C’est que la mode ne se bornait pas, comme chez d’autres peuples, à régenter simplement la façon de se draper ou de disposer sa coiffure : Dans ce pays bizarre, où tant d’autres coutumes subissent les lois hiératiques d’une immuable stabilité, la mode s’attaque, par l’effet d’une étrange aberration, jusqu’au physique même de la femme, et cherche à le mettre en rapport avec le genre de beauté conventionnelle qui est à l’ordre du jour. On s’évertue à transformer artificiellement la coupe du visage, la forme ou la dimension des lèvres ou des yeux. Dans certains mondes, le rasoir intervient et le pinceau se met de la partie pour déranger les sourcils de leur emplacement naturel ; le vermillon, même l’or quelquefois, font ressortir par leurs enluminures certaines parties seulement de la bouche ; toutes les ressources de la cosmétique sont mises en œuvre, et loin d’en dissimuler l’usage, les jeunes dames coquettes en tirent les effets d’une parure de fête bien apparente, au même titre qu’elles se revêtent aux grands jours de leur plus belle robe.
S’il leur est nécessaire cependant de faire de grands efforts pour réaliser ainsi, dans des limites après tout restreintes, l’idéal factice qui a cours, les peintres, eux, ont toute facilité pour pousser le système à ses conséquences les plus radicales. On ne s’étonnera donc pas outre mesure d’apercevoir dans les tableaux de mœurs japonaises de grandes divergences de types, qui tous s’éloignent sensiblement de ceux qu’on est habitué à rencontrer dans la réalité au milieu des diverses classes de la population.
Ces singulières pratiques une fois admises, on ne saurait s’empêcher de trouver en tous points séduisante la femme telle qu’elle a été rêvée par Kitagava Outamaro, et c’est peut-être son modèle qui a le plus d’affinité avec la classe aristocratique de la race japonaise.
Outamaro n’est jamais banal ; il trouve une façon toujours neuve et imprévue dans le groupement de ses personnages remplis de vie et de mouvement, et il possède un art parfait pour la disposition des accessoires. N’y a-t-il pas une audace heureuse à présenter, comme il le fait ici, de nombreuses figures coupées par les barreaux d’une clôture ajourée ? L’habitation donne en plein sur une rue dont l’animation se trahit par la présence de plusieurs passants, vus à mi-corps. Le personnage de droite cache furtivement son profil, pour ne pas être surpris dans sa causerie avec l’une des jeunes dames. Il demeure indifférent aux saillies des deux manzai cherchant à joindre un jeune élégant qui se retourne vers eux. Le livre entier respire l’élégance supérieure qui est la caractéristique d’Outamaro, s’exprimant au moyen des plus brillantes perfections techniques. » (p. 59)

© Bibliothèque nationale de France

  • Auteur(es)
    Siegfried Bing (1838-1905)
  • Description technique
    Publication mensuelle, de 1888 à 1891
  • Provenance

    BnF, département des Estampes et de la Photographie, RESERVE 4-YA5-1

  • Lien permanent
    ark:/12148/mm314200421q