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Avant le franc

La monnaie en France du 7e au 13e siècle
Gros aux lis de Charles VII
Gros aux lis de Charles VII

Bibliothèque nationale de France

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Dans les premiers siècles du Moyen Âge, sous d’or et deniers d’argent imitent les anciens monnayages romains et manquent de cohérence. C’est un peu plus tard, sous Charlemagne, qu’est fixé un système monétaire durable. Mais le contrôle de la monnaie échappe rapidement au pouvoir royal, rendant l’économie parfois instable...

Du tiers de sou d’or au denier d’argent

Le monnayage sous les Mérovingiens

Différentes monnaies d’or, d’argent et de cuivre circulaient en Gaule à la fin de l’Empire romain. Au temps des rois mérovingiens, descendants de Clovis, ne subsiste guère que la monnaie d’or, sou et surtout tiers de sou, appelé aussi triens ou tremissis (à peine 1 g), imitations plus ou moins réussies des pièces impériales romaines. Le triens d’or devient quasiment espèce unique au début du 7e siècle.

Tiers de sou d’or
Tiers de sou d’or |

Bibliothèque nationale de France

L’or provient principalement de la Méditerranée, en particulier des monnaies de l’Empire byzantin. Mais vers 650, la géographie économique et monétaire se modifie au profit du Nord d’où viennent des monnaies d’argent anglo-saxonnes et frisonnes (des Pays-Bas), les sceattas. En outre, l’or se fait plus rare et plus cher après la chute de l’Afrique byzantine et la prise de Carthage. Vers 675, le sou d’or est complété puis remplacé par une pièce d’argent : le denier, du nom de l’ancienne monnaie romaine d’argent. Douze deniers font un sou. Les pièces sont produites un peu partout et revêtent de multiples aspects. Le contrôle des monnaies semble échapper en grande partie au pouvoir royal mérovingien. Les réformes monétaires byzantines et arabes, le succès des monnaies anglo-frisonnes, l’exploitation de nouveaux gisements argentifères et des circonstances politiques internes pérennisent l’adoption de l’étalon argent sous l’égide d’une nouvelle dynastie royale : les Carolingiens.

Le denier d’argent, monnaie unique de l’Empire carolingien

Denier de Pépin le Bref
Denier de Pépin le Bref |

Bibliothèque nationale de France

Tandis qu’ils réunifient et étendent à leur profit le royaume des Francs, Pépin le Bref (741-768) et son fils Charlemagne (768-814) reprennent le contrôle de l’activité monétaire. Le pouvoir royal sur la monnaie est réaffirmé par un ensemble de règlements et de contrôles organisant sa fabrication et sa mise en circulation. En 754-755, l’édit de Ver est une première tentative d’uniformiser le poids et l’aspect du denier d’argent franc. En réalité, la marque de l’autorité royale ne figure systématiquement sur la monnaie qu’avec Charlemagne en 793-794.

« Monnaie unique » de l’Empire carolingien, le nouveau denier au poids unitaire d’environ 1,70 g est le modèle, direct ou indirect, du monnayage occidental produit du 9e au 13e siècle. La réglementation carolingienne insiste sur la qualité de la monnaie, et cherche à éviter la « fausse monnaie » (en fait, des pièces de moindre qualité produites frauduleusement dans les ateliers officiels), et la thésaurisation ou la transformation en argenterie.

Denier de Charlemagne
Denier de Charlemagne |

Bibliothèque nationale de France

En prescrivant de tailler 240 deniers dans 1 livre d’argent, Charlemagne jette les bases d’un système monétaire et comptable qui persistera en France jusqu’à la Révolution :

  • 1 livre = 20 sous ou 240 deniers ;
  • 1 sou = 12 deniers.

En outre est frappée une division du denier, l’obole d’argent, qui correspond à sa moitié.

Obole de Louis le Pieux
Obole de Louis le Pieux |

Bibliothèque nationale de France

Du denier carolingien aux deniers féodaux

Perte de contrôle du pouvoir royal

Principal agent administratif local, sous les Carolingiens, le comte surveille et contrôle au nom du souverain l’activité monétaire dans le royaume. Mais dans la seconde moitié du 9e siècle, les usurpations des comtes se multiplient. Le phénomène s’amplifie à la faveur des problèmes de succession au trône, des conflits intérieurs, puis des raids sarrasins, vikings et hongrois : le pouvoir royal perd peu à peu le contrôle effectif et l’exclusivité de la frappe des deniers. Les comtes commencent à exercer les pouvoirs régaliens à leur propre profit. Par ailleurs, le souverain concède une part des revenus d’un atelier, parfois sa gestion, à des évêques ou des abbayes. La féodalisation du denier se concrétise au 10e siècle alors que les Robertiens, ancêtres des Capétiens, s’opposent aux Carolingiens. L’aristocratie profite de l’occasion pour se rendre plus indépendante. Le pouvoir affaibli multiplie les concessions officielles, notamment en faveur d’ecclésiastiques. La monnaie est désormais affaire de prélats, de ducs et de comtes, voire de vicomtes, qui peuvent changer titre et poids à leur guise.

Obole frappée à l’abbaye Saint-Philibert de Tournus
Obole frappée à l’abbaye Saint-Philibert de Tournus |

Bibliothèque nationale de France

Une multitude de monnaies

Entre les 11e et 13e siècles, dans un contexte d’essor économique et commercial tant dans les campagnes que dans les villes, une multitude de derniers féodaux sont frappés régionalement, voire localement, par des seigneurs plus ou moins importants. La monnaie du roi est devenue une monnaie parmi d’autres. Du point de vue du seigneur émetteur, la monnaie constitue une importante source de revenu, un moyen de financer son train de vie et sa politique. Un profit est en effet réalisé sur la frappe de chaque pièce : c’est le droit de seigneuriage. Pour augmenter ce revenu, le seigneur peut procéder à une mutation de sa monnaie, c’est-à-dire modifier certaines conditions d’émission : poids du denier, titre ou teneur en argent fin, cours officiel. La pratique alors la plus courante dans le royaume de France consiste à affaiblir la monnaie en titre de métal fin, une préfiguration des dévaluations contemporaines. Elle engendre de grandes disparités de valeur entre les différentes pièces en circulation et concourt localement à une certaine instabilité monétaire. Les élites féodales et les bourgeoisies urbaines montantes protestent et négocient, obtenant de limiter ces mutations à une seule par règne, ou la stabilisation de la monnaie en contrepartie d’une taxe (monéage).

Denier d’Amédée IV, comte de Savoie
Denier d’Amédée IV, comte de Savoie |

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Restauration de la monnaie du roi

À la faveur des guerres, des mariages et des héritages, Philippe Auguste (1180-1223) étend progressivement son autorité, y compris dans le domaine de la monnaie. Le denier « parisis » est d’abord diffusé dans le nord du royaume, puis à l’est et quelque peu au sud. Après la conquête de la Normandie, de l’Anjou, du Maine et de la Touraine (1204-1205), le roi impose une nouvelle pièce : le denier « tournois ». Cette politique volontariste est poursuivie par Louis IX (1226-1270) au seul profit du tournois et au détriment des monnayages féodaux. À l’exemple des cités italiennes qui frappent de « gros » deniers valant entre 20 et 30 deniers locaux, Louis IX crée un gros tournois, première monnaie de bon argent produite en France, valant 12 deniers. Il rencontre un tel succès qu’il est frappé abondamment, rapidement imité, notamment en Provence, et diffusé largement en Italie. Dans le même temps est créé l’écu d’or, première monnaie d’or capétienne. Mais il s’avère un échec commercial et est vite abandonné. Saint Louis laisse à ses successeurs une monnaie apparemment stable.

Gros tournois de Louis IX
Gros tournois de Louis IX |

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Provenance

Cet article provient du site Le Franc (2002).

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