Vision
Odilon Redon (1840-1916), Paris, 1879.
Lithographie
BnF, département des Estampes et de la photographie, RESERVE DC- 354 (2) -BOITE FOL
© Bibliothèque nationale de France
« Des Esseintes s’arrêtait plus particulièrement devant les autres cadres qui ornaient la pièce. Ceux-là étaient signés : Odilon Redon. Ils renfermaient dans leurs baguettes de poirier brut, liséré d’or, des apparitions inconcevables : une tête d’un style mérovingien, posée sur une coupe ; un homme barbu, tenant tout à la fois, du bonze et de l’orateur de réunion publique, touchant du doigt un boulet de canon colossal ; une épouvantable araignée logeant au milieu de son corps une face humaine ; puis des fusains partaient plus loin encore dans l’effroi du rêve tourmenté par la congestion. Ici c’était un énorme dé à jouer où clignait une paupière triste ; là des paysages, secs, arides, des plaines calcinées, des mouvements de sol, des soulèvements volcaniques accrochant des nuées en révolte, des ciels stagnants et livides ; parfois même les sujets semblaient empruntés au cauchemar de la science, remonter aux temps préhistoriques ; une flore monstrueuse s’épanouissait sur les roches ; partout des blocs erratiques, des boues glaciaires, des personnages dont le type simien, les épais maxillaires, les arcades des sourcils en avant, le front fuyant, le sommet aplati du crâne, rappelaient la tête ancestrale, la tête de la première période quaternaire, de l’homme encore frugivore et dénué de parole, contemporain du mammouth, du rhinocéros aux narines cloisonnées et du grand ours. Ces dessins étaient en dehors de tout ; ils sautaient, pour la plupart, par-dessus les bornes de la peinture, innovaient un fantastique très spécial, un fantastique de maladie et de délire. » (Huysmans, À rebours, chapitre V.)
 
 

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