Les Malheurs de Sophie
Les Malheurs de Sophie
Les Malheurs de Sophie
Sophie de Ségur (1799-1874), auteur, 1858.
Manuscrit avec corrections de la main de l'auteur. Feuillets 3 et 4.
Bibliothèque Labadens
©Bibliothèque Labadens
Dans l'esprit de tout enfant voyageant dans le monde de la comtesse de Ségur, Les Petites Filles modèles sont la suite des Malheurs de Sophie. Mais il en est tout autrement sur le plan de la création littéraire et en librairie : les bienséances des demoiselles de Fleurville (1858) ont précédé les exploits de ce lutin fantasque de Sophie de Réan (1859).
Mais pourquoi, dans le troisième feuillet du manuscrit de cet inoxydable chef-d'œuvre de la littérature enfantine, devine-t-on, sous les ratures, une certaine Marie qui devient Sophie et une sœur Pauline se muant en cousin Paul ?
D'évidence parce que l'auteur a décidé d'exploiter le succès inattendu de son premier roman en offrant à son public juvénile le suspense haletant d'une trilogie.
Dans les deux premiers chapitres déjà écrits d'un livre destiné aux tout-petits, elle opère la substitution des prénoms, recopiant même une première page tellement corrigée que les typographes ne sauraient la déchiffrer. Cette décision date du tout début de l'année 1858 puisque le 16 mars elle indique à Émile Templier, gendre de Hachette, avoir deux ouvrages en train : « Les Vacances faisant suite aux Petites Filles et Les Malheurs de Sophie faisant introduction aux Petites Filles. »
Sophie donc, dont la description physique correspond trait pour trait à un portrait de Sophaletta Rostopchine à cinq ans, découvre la vie avec un indéfectible enthousiasme. L'auteur l'avoue d'ailleurs d'entrée, Sophie c'est bien elle, et les saynètes qui la voient affronter la brutalité du monde et le mode de vie codifié des adultes sont les souvenirs de son enfance russe. « C'est si ennuyeux d'obéir », constate l'héroïne, mettant à jamais dans sa poche des générations de jeunes lecteurs, charmés aussi par la prose enlevée du récit et les dessins d'Horace Castelli (1825-1889) dont le trait malicieux traduit si bien les états d'âme de Sophie et qui restera l'illustrateur préféré de la Comtesse.
Quant à la dédicataire de l'ouvrage, Élisabeth Fresneau (1851-1944), il s'agit d'une petite-fille de la comtesse, qui a raté son entrée dans Les Petites Filles modèles où sa grand-mère l'a dépeinte sous le nom de Marguerite et n'a pas obtenu de l'éditeur le rétablissement, trop tardivement sollicité, de son véritable prénom. Aussi dans ces mêmes Malheurs le chapitre XV est-il consacré à sa gloire... Ceux qui voudront bien s'y référer en apprécieront le masochisme vertueux.
Dans Les Mémoires d'un âne, quatrième volume de la trilogie – les trois mousquetaires ne sont-ils pas quatre, eux aussi ? – Élisabeth trouve enfin sa place dans le concert des cousins. Et alors que Camille de Malaret, sa petite-fille préférée, subissait les avanies d'un mariage raté et d'une séparation dramatique, se conformant au destin tracé pour Geneviève Dormère dans Après la pluie le beau temps, écrit deux ans plus tôt, Élisabeth devait donner à la Comtesse une ultime joie en épousant Jean de Moussac, charmant, riche et soldat de Charette. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants.
(François Labadens)
 
 

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