Schaunard, Colline et Rodolphe font la connaissance de Marcel
Mort de Francine
Schaunard jouant du piano
Scènes de la vie de Bohème illustrée par Robaudi
Henry Murger (1822-1861), auteur. Alcilde Robaudi (1850-1928), illustrateur., 1913.
Paris, Éditeur L. Carteret
BnF, département Littérature et art, 4-Y2-6405
© Bibliothèque nationale de France
« Et Schaunard, à moitié nu, alla s’asseoir devant son piano. Et après avoir réveillé l’instrument endormi par un orageux placage d’accords, il commença, tout en monologuant, à poursuivre sur le clavier la phrase mélodique qu’il cherchait depuis si longtemps.
Do, sol, mi, do, la, si, do, ré, boum, boum. Fa, ré, mi, ré. Aïe, aïe, il est faux comme Judas, ce , fit Schaunard en frappant avec violence sur la note aux sons douteux. Voyons le mineur… Il doit dépeindre adroitement le chagrin d’une jeune personne qui effeuille une marguerite blanche dans un lac bleu. Voilà une idée qui n’est pas en bas âge. Enfin, puisque c’est la mode, et qu’on ne trouverait pas un éditeur qui osât publier une romance où il n’y aurait pas de lac bleu, il faut s’y conformer… Do, sol, mi, do, la, si, do, ré ; je ne suis pas mécontent de ceci, ça donne assez l’idée d’une paquerette, surtout aux gens qui sont forts en botanique. La, si, do, ré, gredin de , va ! Maintenant, pour bien faire comprendre le lac bleu, il faudrait quelque chose d’humide, d’azuré, de clair de lune, car la lune en est aussi ; tiens, mais ça vient, n’oublions pas le cygne… Fa, mi, la, sol, continua Schaunard en faisant clapoter les notes cristallines de l’octave d’en bas. Reste l’adieu de la jeune fille, qui se décide à se jeter dans le lac bleu, pour rejoindre son bien-aimé enseveli sous la neige ; ce dénoûment n’est pas clair, murmura Schaunard, mais il est intéressant. Il faudrait quelque chose de tendre, de mélancolique ; ça vient, ça vient, voilà une douzaine de mesures qui pleurent comme des Madeleines ; ça fend le cœur ! Brr, brr, fit Schaunard en frissonnant dans son jupon semé d’étoiles, si ça pouvait fendre le bois : il y a dans mon alcôve une solive qui me gêne beaucoup quand j’ai du monde… à dîner ; je ferais un peu de feu avec… la, la… ré, mi, car je sens que l’inspiration m’arrive enveloppée d’un rhume de cerveau. Ah ! bah ! tant pis !… Continuons à noyer ma jeune fille. »
 
 

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