La Bataille de Macar
Sacrifice à Moloch
Prêtresse descendant un escalier au son de lyres
Salammbô
Gustave Flaubert (1821-1880), auteur ; André Lambert, illustrateur, Paris, 1948.
BnF, département de Littérature et art, 4-Y2-4121
© Bibliothèque nationale de France
Acculés dans une gorge, les mercenaires perdent pied face à l'armée carthaginoise. Narr’Havas finit par capturer Mâtho, leur chef et un des derniers survivants. La population carthaginoise réclame son exécution. La cérémonie sacrificielle dégénère en lynchage public.

« Tout à coup, derrière les Mappales, de hauts éventails de plumes se levèrent au-dessus des têtes. C’était Salammbô qui sortait de son palais ; un soupir d’allégement s’exhala. Mais le cortège fut longtemps à venir ; il marchait pas à pas. D’abord défilèrent les prêtres des Patæques, puis ceux Eschmoûn, ceux de Melkarth et tous les autres collèges successivement, avec les mêmes insignes et dans le même ordre qu’ils avaient observé lors du sacrifice. Les pontifes de Moloch passèrent le front baissé, et la multitude, par une espèce de remords, s’écartait d’eux. Mais les prêtres de la Rabbet s’avançaient d’un pas fier, avec des lyres à la main ; les prêtresses les suivaient dans des robes transparentes de couleur jaune ou noire, en poussant des cris d’oiseau, en se tordant comme des vipères ; ou bien au son des flûtes, elles tournaient pour imiter la danse des étoiles, et leurs vêtements légers envoyaient dans les rues des bouffées de senteurs molles. […] Ils [les Carthaginois] allongeaient leurs bras par-dessus les chaînes, en criant qu’on lui [Mâtho] avait laissé le chemin trop large ; et il allait, palpé, piqué, déchiqueté par tous ces doigts ; lorsqu’il était au bout d’une rue, une autre apparaissait, plusieurs fois il se jeta de côté pour les mordre, on s’écartait bien vite, les chaînes le retenaient, et la foule éclatait de rire. Un enfant lui déchira l’oreille ; une jeune fille, dissimulant sous sa manche la pointe d’un fuseau, lui fendit la joue ; on lui enlevait des poignées de cheveux, des lambeaux de chair ; d’autres avec des bâtons où tenaient des éponges imbibées d’immondices lui tamponnaient le visage. Du côté droit de sa gorge, un flot de sang jaillit : aussitôt le délire commença. Ce dernier des Barbares leur représentait tous les Barbares, toute l’armée ; ils se vengeaient sur lui de tous les désastres, de leurs terreurs, de leurs opprobres. La rage du peuple se développait en s’assouvissant ; les chaînes trop tendues se courbaient, allaient se rompre ; ils ne sentaient pas les coups des esclaves frappant sur eux pour les refouler ; d’autres se cramponnaient aux saillies des maisons ; toutes les ouvertures dans les murailles étaient bouchées par des têtes ; et le mal qu’ils ne pouvaient lui faire, ils le hurlaient. »

Gustave Flaubert, Salammbô, chapitre XV, 1862.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Charpentier, 1879
 
 

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