Morel
Les Mystères de Paris
Eugène Sue (1804-1857), auteur ; Charles Gosselin, éditeur, Paris, 1843-1844.
4 vol. : ill., pl., portr. ; in-4
BnF, département de Philosophie, Histoire, et Sciences de l'homme, 4-Z LE SENNE-1242 (1)
© Bibliothèque nationale de France
Dans Les Mystères de Paris, Eugène Sue dresse un tableau poignant de la misère ouvrière pour choquer le lecteur et réveiller les consciences.
Rodolphe, prince descendu dans les bas-fonds pour faire régner le bien et la justice, porte secours à un couple d’ouvriers, les Morel, opprimé par un notaire véreux, Jacques Ferrand, qui, faute d’être remboursé, violera une de leur fille. On découvre ici le taudis dans lequel les Morel vivent.

« Il est cinq heures du matin.
Au-dehors le silence est profond, la nuit noire, glaciale ; il neige.
Une chandelle, soutenue par deux brins de bois sur une petite planche carrée, perce à peine de sa lueur jaune et blafarde les ténèbres de la mansarde ; réduit étroit, bas, aux deux tiers lambrissé par la pente rapide du toit qui forme avec le plancher un angle très aigu. Partout on voit le dessous des tuiles verdâtres.
Les cloisons recrépies de plâtre noirci par le temps, et crevassées de nombreuses lézardes, laissent apercevoir les lattes vermoulues qui forment ces minces parois ; dans l’une d’elles, une porte disjointe s’ouvre sur l’escalier. Le sol, d’une couleur sans nom, infect, gluant, est semé çà et là de brins de paille pourrie, de haillons sordides, et de ces gros os que le pauvre achète aux plus infimes revendeurs de viande corrompue pour ronger les cartilages qui y adhèrent encore…
Une si effroyable incurie annonce toujours ou l’inconduite, ou une misère honnête, mais si écrasante, si désespérée, que l’homme anéanti, dégradé, ne sent plus ni la volonté, ni la force, ni le besoin de sortir de sa fange : il y croupit comme une bête dans sa tanière.
Durant le jour, ce taudis est éclairé par une lucarne étroite, oblongue, pratiquée dans la partie déclive de la toiture, et garnie d’un châssis vitré qui s’ouvre et se ferme au moyen d’une crémaillère.
À l’heure dont nous parlons, une couche épaisse de neige recouvrait cette lucarne.
La chandelle, posée à peu près au centre de la mansarde, sur l’établi du lapidaire, projette en cet endroit une sorte de zone de pâle lumière qui, se dégradant peu à peu, se perd dans l’ombre où reste enseveli le galetas, ombre au milieu de laquelle se dessinent vaguement quelques formes blanchâtres. […]
Oui, dans cette étroite mansarde vivent sept personnes…
Cinq enfants, dont le plus jeune a quatre ans, le plus âgé douze ans à peine. »

Eugène Sue, Les Mystères de Paris, 1842-1843.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Gosselin, 1842-1843
 
 

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