Souper chez Marguerite Gautier
La Dame aux camélias
Armand Duval et Marguerite Gautier
La mort de Marguerite
Marguerite Gautier
La Dame aux camélias, le roman
Alexandre Dumas fils (1824-1895), auteur ; Albert Lynch, dessinateur ; Pierre-Augustin Massé, graveur, Paris, 1886.
Estampe
BnF, Réserve des livres rares, RES-G-Y2-12, Planche face page 46
© Bibliothèque nationale de France
Le roman de La Dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils s’ouvre alors que Marguerite Gautier, une courtisane qu’Armand Duval a passionnément aimée, est déjà morte et enterrée. Pour lui faire honneur, il demande à ce qu’elle soit exhumée et enterrée dans une parcelle plus grande. Armand Duval se rend au cimetière avec le narrateur.

« D'où vient le douloureux plaisir qu'on prend à ces sortes de spectacles ! Quand nous arrivâmes à la tombe, le jardinier avait retiré tous les pots de fleurs, le treillage de fer avait été enlevé, et deux hommes piochaient la terre. Armand s'appuya contre un arbre et regarda.
Toute, sa vie semblait être passée dans ses yeux.
Tout à coup une des deux pioches grinça contre une pierre.
À ce bruit, Armand recula comme à une commotion électrique, et me serra la main avec une telle force qu'il me fit mal.
Un fossoyeur prit une large pelle et vida peu à peu la fosse ; puis, quand il n'y eut plus que les pierres dont on couvre la bière, il les jeta dehors une à une.
J'observais Armand, car je craignais à chaque minute que les sensations qu'il concentrait visiblement ne le brisassent ; mais il regardait toujours, les yeux fixés et ouverts comme dans la folie, et un léger tremblement des joues et des lèvres prouvait seul qu'il était en proie à une violente crise nerveuse.
Quant à moi, je ne puis dire qu'une chose, c'est que je regrettais d'être venu.
Quand la bière fut tout à fait découverte, le commissaire dit aux fossoyeurs :
— Ouvrez.
Ces hommes obéirent, comme si c'eût été la chose du monde la plus simple.
La bière était en chêne, et ils se mirent à dévisser la paroi supérieure qui faisait couvercle. L'humidité de la terre avait rouillé les vis, et ce ne fut pas sans efforts que la bière s'ouvrit. Une odeur infecte s'en exhala, malgré les plantes aromatiques dont elle était semée.
— Oh ! mon Dieu ! mon Dieu ! murmura Armand, et il pâlit encore.
Les fossoyeurs eux-mêmes se reculèrent.
Un grand linceul blanc couvrait le cadavre dont il dessinait quelques sinuosités. Ce linceul était presque complétement mangé à l'un des bouts, et laissait passer un pied de la morte.
J'étais bien près de me trouver mal, et à l'heure où j'écris ces lignes, le souvenir de cette scène m'apparaît encore dans son imposante réalité.
— Hâtons-nous, dit le commissaire.
Alors un des deux hommes étendit la main, se mit à découdre le linceul, et le prenant par le bout, découvrit brusquement le visage de Marguerite.
C'était terrible, à voir, c'est horrible à raconter.
Les yeux ne faisaient plus que deux trous, les lèvres avaient disparu, et les dents blanches étaient serrées les unes contre les autres. Les longs cheveux noirs et secs étaient collés sur les tempes et voilaient un peu les cavités vertes des joues, et cependant je reconnaissais dans ce visage le visage blanc, rose et joyeux que j'avais vu si souvent.
Armand, sans pouvoir détourner son regard de cette figure, avait porté son mouchoir à sa bouche et le mordait. »

Alexandre Dumas fils, La Dame aux camélias, chapitre VI, 1848.
>Texte intégral dans Gallica : Paris, Michel Lévy, 1852
 
 

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