Venise - Vue prise au-dessus de San Giorgio
L'Italie à vol d'oiseau, 34
Alfred Guesdon (1808-1876), dessinateur ; Jules Arnout (1814-1868), lithographe, 1852.
BnF, département des Estampes et de la Photographie, DC-265-FOL
© Bibliothèque nationale de France
« Le soleil était descendu derrière les monts Vicentins. De grandes nuées violettes traversaient le ciel au-dessus de Venise. La tour de Saint-Marc, les coupoles de Sainte Marie, et cette pépinière de flèches et de minarets qui s’élèvent de tous les points de la ville se dessinaient en aiguilles noires sur le ton étincelant de l’horizon. Le ciel arrivait, par une admirable dégradation de nuances, du rouge cerise au bleu de smart ; et l’eau calme et limpide comme une glace, recevait exactement le reflet de cette immense irisation. Au-dessous de la ville, elle avait l’air d’un grand miroir de cuivre rouge. Jamais je n’avais Venise si belle et si féérique. Cette noire silhouette, jetée entre le ciel et l’eau ardente comme dans une mer de feu était alors une de ces sublimes aberrations d’architecture que le poète de l’Apocalypse a dû voir flotter sur les grèves à Patmos quand il rêvait sa Jérusalem nouvelle, et qu’il la comparait à une belle épousée de la veille.
Peu à peu les couleurs s’obscurcirent, les contours devinrent plus massifs, les profondeurs plus mystérieuses. Venise prit l’aspect d’une flotte immense, puis d’un bois de hauts cyprès où les canaux s’enfonçaient comme de grands chemins de sable argenté.
Ce sont là les instants où j’aime à regarder au loin. Quand les formes s’effacent, quand les objets tremblent dans la brume, quand mon imagination peut s’élancer dans un champ immense de conjectures et de caprices, quand je peux, en clignant un peu la paupière, renverser et bouleverser une cité, en faire une forêt, un camp ou un cimetière ; quand je peux métamorphoser en fleuves paisibles les grands chemins blancs de poussière, et en torrents rapides les petits sentiers de sable qui descendent en serpentant sur la sombre verdure des collines ; alors je jouis vraiment de la nature, j’en dispose à mon gré, je règne sur elle, je la traverse d’un regard, je la peuple de mes fantaisies. »

Georges Sand, Lettres d’un voyageur, 1837
> Texte intégral dans Gallica : Paris, Garnier frères, 1847
 
 

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