Un grand cœur et une petite fortune
Le Rouge et le Noir - Chronique du XIXe siècle
Stendhal (1783-1842), auteur ; Jean-Paul Quint (1884-1953), illustrateur, Paris, Ed. G. Crès et Cie, 1922.
In-4°, 579 p., fig., couv. ill.
BnF, département Littérature et Art, 4-Y2-6744
© Bibliothèque nationale de France
Après avoir obtenu réparation de M. de Rênal qui l’avait grondé, Julien part à travers bois pour rejoindre l’église de Verrières. Le paysage grandiose est à la mesure de son âme exaltée. Dans cet extrait, Julien est peint comme un héros romantique.

« Julien prenait haleine un instant à l’ombre de ces grandes roches, et puis se remettait à monter. Bientôt par un étroit sentier à peine marqué et qui sert seulement aux gardiens des chèvres, il se trouva debout sur un roc immense et bien sûr d’être séparé de tous les hommes. Cette position physique le fit sourire, elle lui peignait la position qu’il brûlait d’atteindre au moral. L’air pur de ces montagnes élevées communiqua la sérénité et même la joie à son âme. Le maire de Verrières était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous les insolents de la terre ; mais Julien sentait que la haine qui venait de l’agiter, malgré la violence de ses mouvements, n’avait rien de personnel. S’il eût cessé de voir M. de Rênal, en huit jours il l’eût oublié lui, son château, ses chiens, ses enfants et toute sa famille. Je l’ai forcé, je ne sais comment, à faire le plus grand sacrifice. Quoi ! plus de cinquante écus par an ! un instant auparavant je m’étais tiré du plus grand danger. Voilà deux victoires en un jour ; la seconde est sans mérite, il faudrait en deviner le comment. Mais à demain les pénibles recherches. Julien debout sur son grand rocher regardait le ciel, embrasé par un soleil d’août. Les cigales chantaient dans le champ au-dessous du rocher ; quand elles se taisaient tout était silence autour de lui. Il voyait à ses pieds vingt lieues de pays. Quelque épervier parti des grandes roches au-dessus de sa tête était aperçu par lui, de temps à autre, décrivant en silence ses cercles immenses. L’œil de Julien suivait machinalement l’oiseau de proie. Ses mouvements tranquilles et puissants le frappaient, il enviait cette force, il enviait cet isolement. C’était la destinée de Napoléon, serait-ce un jour la sienne ? » (Le Rouge et le Noir, chap. X « Un grand Cœur et une petite fortune »)
 
 

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