L'hôtel de La Mole
Le Rouge et le Noir - Chronique du XIXe siècle
Stendhal (1783-1842), auteur ; Jean-Paul Quint (1884-1953), illustrateur, Paris, Ed. G. Crès et Cie, 1922.
In-4°, 579 p., fig., couv. ill.
BnF, département Littérature et Art, 4-Y2-6744
© Bibliothèque nationale de France
Julien est devenu secrétaire du marquis de La Mole, un grand personnage proche de la cour. Admis dans son salon et dans le cercle des intimes, il observe les mœurs et la morgue de la noblesse d’Ancien Régime, qui ne valorise que la naissance aux dépens du mérite.

« Si les cinq ou six complaisants qui témoignaient une amitié si paternelle à Julien eussent déserté l’hôtel de La Mole, la marquise eût été exposée à de grands moments de solitude ; et, aux yeux des femmes de ce rang, la solitude est affreuse : c’est l’emblème de la disgrâce.
Le marquis était parfait pour sa femme ; il veillait à ce que son salon fût suffisamment garni ; non pas de pairs, il trouvait ses nouveaux collègues pas assez nobles pour venir chez lui comme amis, pas assez amusants pour y être admis comme subalternes. […] Tel est encore, même dans ce siècle ennuyé, l’empire de la nécessité de s’amuser, que même les jours de dîners, à peine le marquis avait-il quitté le salon, que tout le monde s’enfuyait. Pourvu qu’on ne plaisantât ni de Dieu, ni des prêtres, ni du roi, ni des gens en place, ni des artistes protégés par la cour, ni de tout ce qui est établi ; pourvu qu’on ne dît du bien ni de Béranger, ni des journaux de l’opposition, ni de Voltaire, ni de Rousseau, ni de tout ce qui se permet un peu de franc-parler ; pourvu surtout qu’on ne parlât jamais politique, on pouvait librement raisonner de tout.
Il n’y a pas de cent mille écus de rentes, ni de cordon bleu qui puissent lutter contre une telle charte de salon. La moindre idée vive semblait une grossièreté. Malgré le bon ton, la politesse parfaite, l’envie d’être agréable, l’ennui se lisait sur tous les fronts. Les jeunes gens qui venaient rendre des devoirs, ayant peur de parler de quelque chose qui fît soupçonner une pensée, ou de trahir quelque lecture prohibée, se taisaient après quelques mots bien élégants sur Rossini et le temps qu’il faisait. » (Le Rouge et le Noir, chap. XXXIV, « L’Hôtel de La Mole »)
 
 

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