Entrée dans le monde
Le Rouge et le Noir
Stendhal (1783-1842), auteur ; Pierre Leroy, illustrateur, Paris, La Belle Edition, 1947.
2 vol. in-8° , fig., couv. en coul.
BnF, bibliothèque de l’Arsenal, RESERVE 8-DELTA-10026
© Bibliothèque nationale de France
Après avoir quitté Verrières où il a séduit Mme de Rênal, Julien passe une année au séminaire de Besançon avant de devenir secrétaire du marquis de La Mole, un grand personnage proche de la cour qui habite le faubourg Saint-Germain. Julien est accompagné par l’abbé Pirard.

« Les salons que ces messieurs traversèrent au premier étage, avant d’arriver au cabinet du marquis, vous eussent semblé, ô mon lecteur, aussi tristes que magnifiques. On vous les donnerait tels qu’ils sont, que vous refuseriez de les habiter ; c’est la patrie du bâillement et du raisonnement triste. Ils redoublèrent l’enchantement de Julien. Comment peut-on être malheureux, pensait-il, quand on habite un séjour aussi splendide !
Enfin ces messieurs arrivèrent à la plus laide des pièces de ce superbe appartement, à peine s’il y faisait jour ; là se trouva un petit homme maigre, à l’œil vif et en perruque blonde. L’abbé se retourna vers Julien, et le présenta. C’était le marquis. Julien eut beaucoup de peine à le reconnaître, tant il lui trouva l’air poli. Ce n’était plus le grand seigneur, à mine si altière, de l’abbaye de Bray-le-Haut. Il sembla à Julien que sa perruque avait beaucoup trop de cheveux. À l’aide de cette sensation, il ne fut point du tout intimidé. Le descendant de l’ami de Henri III lui parut d’abord avoir une tournure assez mesquine. Il était fort maigre et s’agitait beaucoup. Mais il remarqua bientôt que le marquis avait une politesse encore plus agréable à l’interlocuteur, que celle de l’évêque de Besançon lui-même. L’audience ne dura pas trois minutes. En sortant, l’abbé dit à Julien : — Vous avez regardé le marquis, comme vous eussiez fait un tableau. Je ne suis pas un grand grec dans ce que ces gens-ci appellent la politesse, bientôt vous en saurez plus que moi ; mais enfin la hardiesse de votre regard m’a semblé peu polie. » (Le Rouge et le Noir, chap. XXXII « Entrée dans le Monde »)
 
 

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