Les funérailles
Atala
François-René de Chateaubriand (1768-1848), auteur ; Gustave Doré (1832-1883), dessinateur ; Héliodore Pisan (1822-1890), graveur, Paris, Ed. Louis Hachette, 1863.
BnF, Réserve des livres rares, Smith Lesouëf R-6280
© Bibliothèque nationale de France
Atala, éprise de Chactas, l’aide à s’enfuir. Commence alors une longue fuite au sein d’une nature enchanteresse. Mais Atala finira par se donner la mort pour ne pas rompre le vœu de chasteté fait à sa mère. Chactas, aidé d’un vieil ermite chrétien, l’enterre.
« La lune prêta son pâle flambeau à cette veillée funèbre. Elle se leva au milieu de la nuit, comme une blanche vestale qui vient pleurer sur le cercueil d'une compagne. Bientôt elle répandit dans les bois ce grand secret de mélancolie qu'elle aime à raconter aux vieux chênes et aux rivages antiques des mers. De temps en temps le religieux plongeait un rameau fleuri dans une eau consacrée, puis, secouant la branche humide, il parfumait la nuit des baumes du ciel. Parfois il répétait sur un air antique quelques vers d'un vieux poète nommé Job ; il disait :
« J'ai passé comme une fleur ; j'ai séché comme l'herbe des champs.
Pourquoi la lumière a-t-elle été donnée à un misérable ; et la vie à ceux qui sont dans l'amertume du coeur ?
»
Ainsi chantait l'ancien des hommes. Sa voix grave et peu cadencée allait roulant dans le silence des déserts. Le nom de Dieu et du tombeau sortait de tous les échos, de tous les torrents, de toutes les forêts. Les roucoulements de la colombe de Virginie, la chute d'un torrent dans la montagne, les tintements de la cloche qui appelait les voyageurs, se mêlaient à ces chants funèbres, et l'on croyait entendre dans les Bocages de la mort le chœur lointain des décédés, qui répondait à la voix du solitaire.
Cependant une barre d'or se forma dans l'orient. Les éperviers criaient sur les rochers et les martres rentraient dans le creux des ormes : c'était le signal du convoi d'Atala. Je chargeai le corps sur mes épaules ; l'ermite marchait devant moi, une bêche à la main. Nous commençâmes à descendre de rocher en rocher ; la vieillesse et la mort ralentissaient également nos pas. A la vue du chien qui nous avait trouvés dans la forêt, et qui maintenant, bondissant de joie, nous traçait une autre route, je me mis à fondre en larmes. Souvent la longue chevelure d'Atala, jouet des brises matinales, étendait son voile d'or sur mes yeux ; souvent, pliant sous le fardeau, j'étais obligé de le déposer sur la mousse et de m'asseoir auprès, pour reprendre des forces. Enfin, nous arrivâmes au lieu marqué par ma douleur ; nous descendîmes sous l'arche du pont. Ô mon fils ! il eût fallu voir un jeune sauvage et un vieil ermite à genoux l'un vis-à-vis de l'autre dans un désert, creusant avec leurs mains un tombeau pour une pauvre fille dont le corps était étendu près de là, dans la ravine desséchée d'un torrent. » (Atala, p. 64)
 
 

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