Rencontre avec Louis XV (suite)
Histoire de ma vie
Giacomo Casanova (1725-1798), auteur, Dux, 1789-1798.
BnF, département des Manuscrits, NAF 28604 (3) fol. 31
© Bibliothèque nationale de France
Transcription du texte :
« [Ce fut le surlendemain de mon arrivée à Fontaineblo que je suis allé tout seul à la cour. J'ai vu le beau roi] aller à la messe, et toute la famille royale, et toutes les dames de la cour qui me surprirent par leur laideur comme celles de la cour de Turin m'avaient surpris par leur beauté. Mais en voyant une beauté surprenante entre tant de laideurs j'ai demandé à quelqu'un comment s'appelait la dame.
– C'est, Monsieur, Madame de Brionne, qui est encore plus sage que belle, car non seulement il n'y a aucune histoire sur son compte ; mais elle n'a jamais fourni le moindre motif pour que la médisance puisse en inventer une.
– On n'en a peut-être rien su.
– Ah, monsieur ! on sait tout à la cour.
J'allais tout seul rôdant partout jusqu'à l'intérieur des appartements royaux, lorsque j'ai vu dix à douze dames laides qui avaient plus l'air de courir que de marcher, et si mal qu'elles paraissaient tomber le visage en avant. Je demande d'où elles venaient, et pourquoi elles marchaient si mal.
– Elles sortent de chez la reine qui va dîner, et elles marchent mal parce que le talon de leurs pantoufles haut d'un demi-pied les oblige à marcher avec les genoux pliés.
– Pourquoi ne portent-elles pas le talon plus bas ?
– Parce qu'elles croient de paraître ainsi plus grandes.
J'entre dans une galerie, et je vois le roi qui passe se tenant appuyé avec un bras à travers les épaules de M. d'Argenson. La tête de Louis XV était belle à ravir, et plantée sur son cou l'on ne pouvait pas mieux. Jamais peintre très habile ne put dessiner le coup de tête de ce monarque lorsqu'il la tournait pour regarder quelqu'un. On se sentait forcé de l'aimer dans l'instant. J'ai pour lors cru voir la majesté que j'avais en vain cherchée sur la figure du roi de Sardaigne. Je me suis trouvé certain que Madame de Pompadour était devenue amoureuse de cette physionomie, lorsqu'elle parvint à se procurer sa connaissance. Ce n'était pas vrai, peut-[être, mais la figure de Louis XV forçait l'observateur à penser ainsi.] » (Histoire de ma vie, I, p. 587-588)
 
 

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