Au Bonheur des Dames
Manuscrit, deuxième volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10276, fol. 771
© Bibliothèque nationale de France
« Mais, de la clientèle entassée, de cette mer de corsages gonflés de vie, battant de désir, tous fleuris de bouquets de violettes, comme pour les noces populaires de quelque souveraine, il finit par ne plus distinguer que le corsage nu de madame Desforges, qui s’était arrêtée à la ganterie avec madame Guibal. Malgré sa rancune jalouse, elle aussi achetait, et il se sentit le maître une dernière fois, il les tenait à ses pieds, sous l’éblouissement des feux électriques, ainsi qu’un bétail dont il avait tiré sa fortune.
D’un pas machinal, Mouret suivit les galeries, tellement absorbé, qu’il s’abandonnait à la poussée de la foule. Quand il leva la tête, il était dans le nouveau rayon des modes, dont les glaces donnaient sur la rue du Dix-Décembre. Et là, le front contre le verre, il fit encore une halte, il regarda la sortie. Le soleil couchant jaunissait le faîte des maisons blanches, le ciel bleu de cette belle journée pâlissait, rafraîchi d’un grand souffle pur ; tandis que, dans le crépuscule qui noyait déjà la chaussée, les lampes électriques du Bonheur des Dames jetaient cet éclat fixe des étoiles allumées sur l’horizon, au déclin du jour. Vers l’Opéra et vers la Bourse, s’enfonçait le triple rang des voitures immobiles, gagnées par l’ombre, et dont les harnais gardaient des reflets de vive lumière, l’éclair d’une lanterne, l’étincelle d’un mors argenté. »
 
 

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