Au Bonheur des Dames
Manuscrit, deuxième volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10276, fol. 707
© Bibliothèque nationale de France
« C’était l’envahissement définitif des journaux, des murs, des oreilles du public, comme une monstrueuse trompette d’airain, qui, sans relâche, soufflait aux quatre coins de la terre le vacarme des grandes mises en vente. Et, désormais, cette façade, devant laquelle on s’écrasait, devenait la réclame vivante, avec son luxe bariolé et doré de bazar, ses vitrines larges à y exposer le poème entier des vêtements de la femme, ses enseignes prodiguées, peintes, gravées, taillées, depuis les plaques de marbre du rez-de-chaussée, jusqu’aux feuilles de tôle arrondies en arc au-dessus des toits, déroulant l’or de leurs banderoles, et où le nom de la maison se lisait en lettres couleur du temps, découpées sur le bleu de l’air. Pour fêter l’inauguration, on avait ajouté des trophées, des drapeaux ; chaque étage se trouvait pavoisé de bannières et d’étendards aux armes des principales villes de France ; tandis que, tout en haut, les pavillons des peuples étrangers, hissés à des mâts, battaient au vent du ciel. En bas, enfin, l’exposition de blanc prenait, au fond des vitrines, une intensité de ton aveuglante. Rien que du blanc, un trousseau complet et une montagne de draps de lit à gauche, des rideaux en chapelle et des pyramides de mouchoirs à droite, fatiguaient le regard ; et, entre les « pendus » de la porte, des pièces de toile, de calicot, de mousseline, tombant en nappe, pareilles à des éboulements de neige, étaient plantées debout ; des gravures habillées, des feuilles de carton bleuâtre, où une jeune mariée et une dame en toilette de bal, toutes deux de grandeur naturelle, vêtues de vraies étoffes, dentelle et soie, souriaient de leurs figures peintes. »
 
 

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