Au Bonheur des Dames
Manuscrit, deuxième volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10276, fol. 683
© Bibliothèque nationale de France
« — Ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de danger immédiat... Oui, j’ai vu monsieur Robineau, il lui est arrivé un malheur... On l’apporte, ne vous inquiétez pas, je vous en prie.
La jeune femme l’écoutait, toute blanche, sans comprendre nettement encore. La rue s’était emplie de monde, les fiacres arrêtés juraient, des hommes avaient posé le brancard devant la porte du magasin, pour ouvrir les deux battants vitrés.
— C’est un accident, continuait Denise, résolue à cacher la tentative de suicidé. Il était sur le trottoir, et il a glissé sous les roues d’un omnibus... Oh ! les pieds seulement. On cherche un médecin. Ne vous inquiétez pas.
Un grand frisson secouait madame Robineau. Elle eut deux ou trois cris inarticulés ; puis, elle ne parla plus, elle s’abattit près du brancard, dont elle écarta les toiles de ses mains tremblantes. Les hommes qui venaient de le porter, attendaient devant la maison, pour le remporter, lorsqu’on aurait enfin trouvé un médecin. On n’osait plus toucher à Robineau, qui avait repris connaissance ; et dont les souffrances devenaient atroces, au moindre mouvement. Quand il vit sa femme, deux grosses larmes coulèrent sur ses joues. Elle l’avait embrassé, et elle pleurait, en le regardant de ses yeux fixes. Dans la rue, la cohue continuait, les visages s’entassaient comme au spectacle, avec des yeux luisants ; des ouvrières, échappées d’un atelier, menaçaient d’enfoncer les glaces des vitrines, pour mieux voir. »
 
 

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