Au Bonheur des Dames
Manuscrit, deuxième volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10276, fol. 532
© Bibliothèque nationale de France
« A quoi songeait Bouthemont ? Il s’éloigna, en déclarant qu’il n’admettait pas qu’un acheteur manquât de flair, jusqu’à commettre la bêtise de s’approvisionner au delà des besoins de la vente.
— Qu’a-t-il ? murmura madame Aurélie, toute remuée par les reproches.
Et ces demoiselles se regardèrent avec surprise. A six heures, l’inventaire était terminé. Le soleil luisait encore, un blond soleil d’été, dont le reflet d’or tombait par les vitrages des halls. Dans l’air alourdi des rues, déjà des familles lasses revenaient de la banlieue, chargées de bouquets, et traînant des enfants. Un à un, les rayons avaient fait silence. On n’entendait plus, au fond des galeries, que les appels attardés de quelques commis vidant une dernière case. Puis, ces voix elles-mêmes se turent, il ne resta du vacarme de la journée qu’un grand frisson, au-dessus de la débâcle formidable des marchandises. Maintenant, les casiers, les armoires, les cartons, les boîtes se trouvaient vides : pas un mètre d’étoffe, pas un objet quelconque n’était demeuré à sa place. Les vastes magasins n’offraient que la carcasse de leur aménagement, les menuiseries absolument nettes comme au jour de l’installation.
Cette nudité était la preuve visible du relevé complet et exact de l’inventaire. »
 
 

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