Au Bonheur des Dames
Manuscrit, deuxième volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10276, fol. 526
© Bibliothèque nationale de France
« Cependant, madame Aurélie ne savait comment sortir à son tour, d’une façon décente. Elle piétinait, allait regarder les couteaux mécaniques, furieuse que son mari n’inventât pas une histoire pour l’appeler ; mais il n’était jamais aux affaires sérieuses, il serait mort de soif à côté d’une mare. Ce fut Marguerite qui eut l’intelligence de demander un renseignement.
— J’y vais, répondit la première.
Et, sa dignité désormais à couvert, ayant un prétexte aux yeux de ces demoiselles qui la guettaient, elle laissa enfin seuls Mouret et Denise qu’elle venait de rapprocher, elle sortit d’un pas majestueux, le profil si noble, que les vendeuses n’osèrent même se permettre un sourire.
Lentement, Mouret avait reposé les listes sur la table. Il regardait la jeune fille, qui était restée assise, la plume à la main. Elle ne détournait pas les regards, elle avait seulement pâli davantage.
— Vous viendrez, ce soir ? demanda-t-il à demi-voix.
— Non, monsieur, répondit-elle, je ne pourrai pas. Mes frères doivent se trouver chez mon oncle, et j’ai promis de dîner avec eux.
— Mais votre pied ! vous marchez trop difficilement.
— Oh ! j’irai bien jusque-là, je me sens beaucoup mieux depuis ce matin.
A son tour, il était devenu pâle, devant ce refus tranquille. Une révolte nerveuse agitait ses lèvres. »
 
 

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