Au Bonheur des Dames
Manuscrit, deuxième volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10276, fol. 428
© Bibliothèque nationale de France
« Elles n’avançaient que très lentement, serrées à perdre haleine, tenues debout par des épaules et des ventres, dont elles sentaient la molle chaleur ; et leur désir satisfait jouissait de cette approche pénible, qui fouettait davantage leur curiosité. C’était un pêle-mêle de dames vêtues de soie, de petites bourgeoises à robes pauvres, de filles en cheveux, toutes soulevées, enfiévrées de la même passion. Quelques hommes, noyés sous les corsages débordants, jetaient des regards inquiets autour d’eux. Une nourrice, au plus épais, levait très haut son poupon, qui riait d’aise. Et, seule, une femme maigre se fâchait, éclatant en paroles mauvaises, accusant une voisine de lui entrer dans le corps.
—Je crois bien que mon jupon va y rester, répétait madame de Boves.
Muette, le visage encore frais du grand air, madame Marty se haussait pour voir avant les autres, par-dessus les têtes, s’élargir les profondeurs des magasins. Les pupilles de ses yeux gris étaient minces comme celles d’une chatte arrivant du plein jour ; et elle avait la chair reposée, le regard clair d’une personne qui s’éveille.
— Ah ! enfin ! dit-elle, en poussant un soupir.
Ces dames venaient de se dégager. Elles étaient dans le hall Saint-Augustin. Leur surprise fut grande de le trouver presque vide. »
 
 

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