Au Bonheur des Dames
Manuscrit, deuxième volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10276, fol. 397
© Bibliothèque nationale de France
« — Écoute-moi bien, reprit le drapier. Quand le père Hauchecorne m’a cédé le Vieil Elbeuf, la maison était prospère ; lui-même l’avait reçue autrefois du vieux Finet, en bon état... Tu connais mes idées : je croirais commettre une vilaine action, si je passais diminué à mes enfants ce dépôt de famille ; et c’est pourquoi j’ai toujours reculé ton mariage avec Geneviève... Oui, je m’entêtais, j’espérais ramener la prospérité ancienne, je voulais te mettre les livres sous le nez, en disant : « Tiens ! l’année où je suis entré, on a vendu tant de drap, et cette année-ci, l’année où je sors, on n’en a vendu dix mille ou vingt mille francs de plus... » Enfin, tu comprends, un serment que je me suis fait, le désir bien naturel de me prouver que la maison n’a pas perdu entre mes mains. Autrement, il me semblerait que je vous vole. Une émotion étranglait sa voix. Il se moucha pour se remettre, il demanda :
— Tu ne dis rien?
Mais Colomban n’avait rien à dire. Il hochait la tête, il attendait, de plus en plus troublé, croyant deviner où allait en venir le patron. C’était le mariage à bref délai. Comment refuser ? Jamais il n’aurait la force. Et l’autre, celle dont il rêvait la nuit, la chair brûlée d’une telle flamme, qu’il se jetait tout nu sur le carreau, de peur d’en mourir !
— Aujourd’hui, continua Baudu, voilà un argent qui peut nous sauver. »
 
 

> partager
 
 

 
 

 
> copier l'aperçu