Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 365
© Bibliothèque nationale de France
« En levant les yeux, d’un coup d’œil, il venait d’apercevoir devant lui, au coin de la rue d’Alger, les fenêtres éclairées de madame Desforges, qui l’attendait. Et il avait reporté ses regards sur Denise, il la voyait bien, dans le pâle crépuscule : elle était toute chétive auprès d’Henriette, pourquoi donc lui chauffait-elle ainsi le cœur ? C’était un caprice imbécile.
— Voici un petit garçon qui se fatigue, reprit-il pour dire encore quelque chose. Et rappelez-vous bien, n’est-ce pas ? que notre maison vous est ouverte. Vous n’aurez qu’à y frapper, je vous donnerai toutes les compensations désirables... Bonsoir, mademoiselle.
— Bonsoir, monsieur.
Quand Mouret l’eut quittée, Denise rentra sous les marronniers, dans l’ombre noire. Longtemps, elle marcha sans but, entre les troncs énormes, le sang au visage, la tête bourdonnante d’idées confuses. Pépé, toujours pendu à sa main, allongeait ses courtes jambes pour la suivre. Elle l’oubliait. Il finit par dire :
— Tu vas trop vite, petite mère.
Alors, elle s’assit sur un banc ; et, comme il était las, l’enfant s’endormit en travers de ses genoux. Elle le tenait, le serrait contre sa poitrine de vierge, les yeux perdus au fond des ténèbres. Lorsque, une heure plus tard, elle revint doucement avec lui rue de la Michodière, elle avait son tranquille visage de fille raisonnable. »
 
 

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