Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 328
© Bibliothèque nationale de France
« Les deux dames du premier recevaient des visites très tard ; et parfois un homme se trompait, montait donner des coups de poing dans sa porte. Bourras lui ayant dit tranquillement de ne pas répondre, elle s’enfonçait la tête sous l’oreiller, pour échapper aux jurons. Puis, son voisin, le boulanger, avait voulu rire ; celui-là ne rentrait que le matin, la guettait, quand elle allait chercher son eau ; il faisait même des trous dans la cloison, la regardait se débarbouiller, ce qui la forçait à pendre ses vêtements le long du mur. Mais elle souffrait davantage encore des importunités de la rue, de la continuelle obsession des passants. Elle ne pouvait descendre acheter une bougie, sur ces trottoirs boueux où rodait la débauche des vieux quartiers, sans entendre derrière elle un souffle ardent, des paroles crues de convoitise ; et les hommes la poursuivaient jusqu’au fond de l’allée noire, encouragés par l’aspect sordide de la maison. Pourquoi donc n’avait-elle pas un amant ? cela étonnait, semblait ridicule. Il faudrait bien qu’elle succombât un jour. Elle même n’aurait pu expliquer comment elle résistait, sous la menace de la faim, et dans le trouble des désirs dont on chauffait l’air autour d’elle.
Un soir, Denise n’avait pas même de pain pour la soupe de Pépé, lorsqu’un monsieur décoré s’était mis à la suivre. »
 
 

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