Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 309
© Bibliothèque nationale de France
« Et il restait là, sans s’essuyer, étranglé de colère, devant une brutalité pareille. Comment ! lorsqu’il ne s’attendait à rien, lorsqu’il n’y mettait pas ses forces et qu’il cédait simplement à sa bonté !
— Ah ! mademoiselle, vous vous en repentirez, parole d’honneur !
Denise s’était enfuie. Justement, la cloche sonnait ; et, troublée, encore frémissante, elle oublia Robineau, elle remonta au comptoir. Puis, elle n’osa plus redescendre. Comme le soleil, l’après-midi, chauffait la façade de la place Gaillon, on étouffait dans les salons de l’entresol, malgré les stores. Quelques clientes vinrent, mirent ces demoiselles en nage, sans rien acheter. Tout le rayon bâillait, sous les grands yeux somnolents de madame Aurélie. Enfin, vers trois heures, Denise, voyant la première s’assoupir, fila doucement, reprit sa course à travers le magasin, de son air affairé. Pour dépister les curieux, qui pouvaient la suivre du regard, elle ne descendit pas directement à la soie ; d’abord, elle parut avoir affaire aux dentelles, elle aborda Deloche, lui demanda un renseignement ; ensuite, au rez-dechaussée, elle traversa la rouennerie, et elle entrait aux cravates, lorsqu’un sursaut de surprise l’arrêta net. Jean était devant elle.
— Comment ! c’est toi? murmura-t-elle, toute pâle.
Il avait gardé sa blouse de travail, et il était nu-tête, avec ses cheveux blonds en désordre, dont les frisures coulaient sur sa peau de fille. »
 
 

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