Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 278
© Bibliothèque nationale de France
« — Taisez-vous ! mesdemoiselles, vous feriez mieux de changer ces étiquettes... Mademoiselle Baudu est bien libre de se mal conduire dehors. Si elle travaillait ici, au moins !
Et cette défense sèche était une condamnation. La jeune fille, suffoquée comme si on l’avait accusée d’un crime, tâcha vainement d’expliquer les faits. On riait, on haussait les épaules. Elle en garda une plaie vive au cœur. Deloche, lorsque le bruit se répandit, fut tellement indigné, qu’il parlait de gifler ces demoiselles des confections ; et, seule, la crainte de la compromettre le retint. Depuis la soirée de Joinville, il avait pour elle un amour soumis, une amitié presque religieuse, qu’il lui témoignait par ses regards de bon chien. Personne ne devait soupçonner leur affection, car on se serait moqué d’eux ; mais cela ne l’empêchait pas de rêver de brusques violences, le coup de poing vengeur, si jamais on s’attaquait à elle devant lui.
Denise finit par ne plus répondre. C’était trop odieux, personne ne le croirait. Quand une camarade risquait une nouvelle allusion, elle se contentait de la regarder fixement, d’un air triste et calme. D’ailleurs, elle avait d’autres ennuis, des soucis matériels qui la préoccupaient davantage. »
 
 

> partager
 
 

 
 

 
> copier l'aperçu