Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 239
© Bibliothèque nationale de France
« On arrivait alors à la morte-saison d’hiver, qui va de décembre à février ; et elle avait des moments de repos, des heures passées debout, les yeux perdus dans les profondeurs du magasin, à attendre les clientes. Les vendeuses des confections voisinaient surtout avec les vendeurs des dentelles, sans que l’intimité forcée allât plus loin que des plaisanteries, échangées tout bas. Il y avait, aux dentelles, un second farceur qui poursuivait Clara de confidences abominables, simplement pour rire, si détaché au fond, qu’il n’essayait seulement pas de la retrouver dehors ; et c’étaient ainsi, d’un comptoir à l’autre, entre ces messieurs et ces demoiselles, des coups d’œil d’intelligence, des mots qu’eux seuls comprenaient, parfois des causeries sournoises, le dos à demi tourné, l’air rêveur, pour donner le change au terrible Bourdoncle. Quant à Deloche, longtemps il se contenta de sourire, en regardant Denise ; puis, il s’enhardit, lui murmura un mot d’amitié lorsqu’il la coudoya. Le jour où elle aperçut le fils de madame Aurélie donnant un billet à la lingère, Deloche justement lui demandait si elle avait bien déjeuné, par besoin de s’intéresser à elle, et ne trouvant rien de plus aimable. Lui aussi vit la tache blanche de la lettre ; il regarda la jeune fille, tous deux rougirent de cette intrigue nouée devant eux.
Mais Denise, sous ces haleines chaudes qui éveillaient peu à peu la femme en elle, gardait encore sa paix d’enfant. »
 
 

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