Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 195
© Bibliothèque nationale de France
« Les châles, les fourrures, la lingerie grouillaient de monde. Comme ces dames traversaient le rayon des dentelles, une nouvelle rencontre se produisit. Madame de Boves était là, avec sa fille Blanche, toutes deux enfoncées dans des articles que Deloche leur montrait. Et Hutin dut faire encore une station, le paquet à la main.
— Bonjour !... Je pensais à vous.
— Moi, je vous ai cherchée. Mais comment voulez-vous qu’on se retrouve, au milieu de ce monde ?
— C’est magnifique, n’est-ce pas ?
— Éblouissant, ma chère. Nous ne tenons plus debout.
— Et vous achetez ?
— Oh ! non, nous regardons. Ça nous repose un peu, d’être assises.
En effet, madame de Boves, n’ayant guère dans son porte-monnaie, que l’argent de sa voiture, faisait sortir des cartons toutes sortes de dentelles, pour le plaisir de les voir et de les toucher. Elle avait senti chez Deloche le vendeur débutant, d’une gaucherie lente, qui n’ose résister aux caprices des dames ; et elle abusait de sa complaisance effarée, elle le tenait depuis une demi-heure, demandant toujours de nouveaux articles. Le comptoir débordait, elle plongeait les mains dans ce flot montant de guipures, de malines, de valenciennes, de chantilly, les doigts tremblants de désir, le visage peu à peu chauffé d’une joie sensuelle ; tandis que Blanche, près d’elle, travaillée de là même passion, était très pâle, la chair soufflée et molle. »
 
 

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