Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 187
© Bibliothèque nationale de France
« Déjà, derrière la caisse, Joseph tenait la soie, l’empaquetait ; et le paquet, jeté dans un panier roulant, fut descendu au service du départ, où toutes les marchandises du magasin semblaient maintenant vouloir s’engouffrer avec un bruit d’écluse. Cependant, l’encombrement devenait tel à la soie, que madame Desforges et madame Marty ne purent d’abord trouver un commis libre. Elles restèrent debout, mêlées à la foule des dames qui regardaient les étoffes, les tâtaient, stationnaient là des heures, sans se décider. Mais un grand succès s’indiquait surtout pour le Paris-Bonheur, autour duquel grandissait une de ces poussées d’engouement, dont la brusque fièvre décide d’une mode en un jour. Tous les vendeurs n’étaient occupés qu’à métrer de cette soie ; on voyait, au-dessus des chapeaux, luire l’éclair pâle des lés dépliés, dans le continuel va-et-vient des doigts le long des mètres de chêne, suspendus à des tiges de cuivre ; on entendait le bruit des ciseaux mordant le tissu, et cela sans arrêt, au fur et à mesure du déballage, comme s’il n’y avait pas eu assez de bras pour suffire aux mains gloutonnes et tendues des clientes.
— C’est qu’elle n’est vraiment pas vilaine pour cinq francs soixante, dit madame Desforges, qui avait réussi à s’emparer d’une pièce, sur le bord d’une table. Madame Marty et sa fille Valentine éprouvaient une désillusion. Les journaux en avaient tant parlé, qu’elles s’attendaient à quelque chose de plus fort et de plus brillant. Mais Bouthemont venait de reconnaître madame Desforges, et désireux de faire sa cour à une belle personne qu’on prétendait toute-puissante sur le patron, il s’avançait avec son amabilité un peu grosse. »
 
 

> partager
 
 

 
 

 
> copier l'aperçu