Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 136
© Bibliothèque nationale de France
« Sous la grâce même de sa galanterie, Mouret laissait ainsi passer la brutalité d’un juif vendant de la femme à la livre : il lui élevait un temple, la faisait encenser par une légion de commis, créait le rite d’un culte nouveau ; il ne pensait qu’à elle, cherchait sans relâche à imaginer des séductions plus grandes ; et, derrière elle, quand il lui avait vidé la poche et détraqué les nerfs, il était plein du secret mépris de l’homme auquel une maîtresse vient de faire la bêtise de se donner.
— Ayez donc les femmes, dit-il tout bas au baron, en riant d’un rire hardi, vous vendrez le monde !
Maintenant, le baron comprenait. Quelques phrases avaient suffi, il devinait le reste, et une exploitation si galante l’échauffait, remuait en lui son passé de viveur. Il clignait les yeux d’un air d’intelligence, il finissait par admirer l’inventeur de cette mécanique à manger les femmes. C’était très fort. Il eut le mot de Bourdoncle, un mot que lui souffla sa vieille expérience.
— Vous savez qu’elles se rattraperont.
Mais Mouret haussa les épaules, dans un mouvement d’écrasant dédain. »
 
 

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