Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 112
© Bibliothèque nationale de France
« Toute leur jeunesse s’éveillait, le vieux collège de Plassans, avec ses deux cours, ses études humides, et le réfectoire où l’on mangeait tant de morue, et le dortoir où les oreillers volaient de lit en lit, dès que le pion ronflait. Paul, d’une ancienne famille parlementaire, petite noblesse ruinée et boudeuse, était un fort en thème, toujours premier, donné en continuel exemple par le professeur, qui lui prédisait le plus bel avenir ; tandis qu’Octave, à la queue de la classe, pourrissait parmi les cancres, heureux et gras, se dépensant au dehors en plaisirs violents. Malgré leur différence de nature, une camaraderie étroite les avait pourtant rendus inséparables, jusqu’à leur baccalauréat, dont ils s’étaient tirés, l’un avec gloire, l’autre tout juste d’une façon suffisante, après deux épreuves fâcheuses. Puis, l’existence les avait emportés, et ils se retrouvaient au bout de dix ans, déjà changés et vieillis.
— Voyons, demanda Mouret, que deviens-tu?
— Mais je ne deviens rien.
Vallagnosc, dans la joie de leur rencontre, gardait son air las et désenchanté ; et, comme son ami, étonné, insistait, en disant :
— Enfin, tu fais bien quelque chose... Que fais-tu?
— Rien, répondit-il. »
 
 

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