Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 099
© Bibliothèque nationale de France
« Personne n’avait dit son nom, mais il se désignait lui-même, et elle le devinait maintenant, elle comprenait pourquoi ce jeune homme lui avait causé une telle émotion, dans la rue, au rayon des soieries, à présent encore. Cette émotion, où elle ne pouvait lire, pesait de plus en plus sur son cœur, comme un poids trop lourd. Toutes les histoires contées par son oncle, revenaient à sa mémoire, grandissant Mouret, l’entourant d’une légende, faisant de lui le maître de la terrible machine, qui depuis le matin la tenait dans les dents de fer de ses engrenages. Et, derrière sa jolie tête, à la barbe soignée, aux yeux couleur de vieil or, elle voyait la femme morte, cette madame Hédouin, dont le sang avait scellé les pierres de la maison. Alors, elle fut reprise du froid de la veille, elle crut qu’elle avait simplement peur de lui.
Madame Aurélie, cependant, fermait le registre. Il lui fallait une seule vendeuse, et il y avait déjà dix demandes inscrites. Mais elle était trop désireuse d’être agréable au patron pour hésiter. La demande toutefois suivrait son cours, l’inspecteur Jouve irait aux renseignements, ferait son rapport, et la première prendrait une décision.
— C’est bien, mademoiselle, dit-elle majestueusement, pour réserver son autorité. On vous écrira.
L’embarras tint encore Denise immobile, pendant un instant. Elle ne savait de quel pied sortir, au milieu de tout ce monde. Enfin, elle remercia madame Aurélie ; et, lorsqu’elle dut passer devant Mouret et Bourdoncle, elle salua. »
 
 

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