Au Bonheur des Dames
Manuscrit, premier volume
Émile Zola (1840-1902), auteur, 1881.
BnF, département des Manuscrits, NAF 10275, fol. 080
© Bibliothèque nationale de France
« son crime était d’avoir fait un scandale au réfectoire, en se plaignant de la nourriture. Comme il y avait trois tables, une à neuf heures et demie, l’autre à dix heures et demie, et l’autre à onze heures et demie, il voulut expliquer qu’étant de la troisième table, il avait tojuours des fonds de sauce, des portions rognées.
— Comment ! la nourriture n’est pas bonne ? demanda d’un air naïf Mouret, ouvrant enfin la bouche.
Il ne donnait qu’un franc cinquante par jour et par homme au chef, un terrible Auvergnat, lequel trouvait encore moyen d’emplir ses poches ; et la nourriture était réellement exécrable. Mais Bourdoncle haussa les épaules : un chef qui avait quatre cents déjeuners et quatre cents dîners à servir, même en trois séries, ne pouvait guère s’attarder aux raffinements de son art.
— N’importe, reprit le patron bonhomme, je veux que tous nos employés aient une nourriture saine et abondante... Je parlerai au chef.
Et la réclamation de Mignot fut enterrée. Alors, revenus à leur point de départ, debout près de la porte, au milieu des parapluies et des cravates, Mouret et Bourdoncle reçurent le rapport d’un des quatre inspecteurs, chargés de la surveillance du magasin. Le père Jouve, un ancien capitaine, décoré à Constantine, encore bel homme avec son grand nez sensuel et sa calvitie majestueuse, leur signala un vendeur, qui, sur une simple remontrance de sa part, l’avait traité de « vieux ramolli » ; et le vendeur fut immédiatement congédié. »
 
 

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