L'oncle Baudu l'avait dit, le petit commerce recevait un coup terrible
Œuvres complètes illustrées d'Émile Zola. T. XI Au Bonheur des dames. Édition "ne variatur"
Émile Zola (1840-1902), auteur, Paris, E. Fasquelle, 1906.
BnF, département Littérature et Art, 4-Y2-3550 p. 241
© Bibliothèque nationale de France
« L’oncle Baudu l’avait dit, le petit commerce des rues voisines recevait encore un coup terrible. Chaque fois que le Bonheur des Dames créait des rayons nouveaux, c’étaient de nouveaux écroulements, chez les boutiquiers des alentours. Le désastre s’élargissait, on entendait craquer les plus vieilles maisons. Mademoiselle Tatin, la lingère du passage Choiseul, venait d’être déclarée en faillite ; Quinette, le gantier, en avait à peine pour six mois ; les fourreurs Vanpouille étaient obligés de sous-louer une partie de leurs magasins ; si Bédoré et sœur, les bonnetiers, tenaient toujours, rue Gaillon, ils mangeaient évidemment les rentes amassées jadis. Et voilà que, maintenant, d’autres ruines allaient s’ajouter à ces ruines prévues depuis longtemps : le rayon d’articles de Paris menaçait un bimbelotier de la rue Saint-Roch, Deslignières, un gros homme sanguin ; tandis que le rayon de meubles atteignait les Piot et Rivoire, dont les magasins dormaient dans l’ombre du passage Sainte-Anne. On craignait même l’apoplexie pour le bimbelotier, car il ne dérageait pas, en voyant le Bonheur afficher les porte monnaie à trente pour cent de rabais. Les marchands de meubles, plus calmes, affectaient de plaisanter ces calicots qui se mêlaient de vendre des tables et des armoires ; mais des clientes les quittaient déjà, le succès du rayon s’annonçait formidable. C’était fini, il fallait plier l’ échine : après ceux-là, d’autres encore seraient balayés, et il n’y avait plus de raison pour que tous les commerces ne fussent tour à tour chassés de leurs comptoirs. Le Bonheur seul, un jour, couvrirait le quartier de sa toiture. »
 
 

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