"Déruchette"
Les Travailleurs de la mer
Victor Hugo (1802-1885), dessinateur.
Plume et encre brune sur papier d'album à grain (264 x 173 mn)
Bibliothèque nationale de France, Manuscrits, NAF 247452, fol. 483
© Bibliothèque nationale de France
"Elle avait la gracieuse paresse créole, mêlée d'étourderie et de vivacité, la gaîté taquine de l'enfance avec une pente à la mélancolie, des toilettes un peu insulaires, élégantes, mais incorrectes, des chapeaux de fleurs toute l'année, le front naïf, le cou simple et tentant, les cheveux châtains, la peau blanche avec quelques taches de rousseur l'été, la bouche grande et saine, et sur cette bouche l'adorable et dangereuse clarté du sourire. C'était là Déruchette." (T. M., I, III, I)
C'est sur le portrait d'Adèle Hugo que s'achève le roman : Victor Hugo s'est, en effet, inspiré ici d'un cliché pris à Jersey. Ce dessin évoque en même temps celui d'une voyageuse sous les tropiques s'abritant du soleil, figée dans un mouvement de fuite en avant, avec ce regard égaré qui avait frappé un journaliste du New York Tribune : "Elle était grande et belle, aux cheveux noirs, et ses yeux noirs m'effrayaient. En repos, ils semblaient se fondre en mélancolie, mais, avec un très léger mouvement des paupières, un étrange feu sauvage semblait les enflammer."
Espoir d'épouser Albert Pinson, volonté aussi de s'affranchir de la tutelle de son père, Adèle Hugo s'est enfuie de Guernesey le 18 juin 1863, aussi rapidement que Déruchette dans le roman. Elle suit Albert Pinson, dont elle est éprise, dans les affectations successives du régiment : Halifax, La Barbade, années d'errance où sombre sa raison. Adèle est ramenée à son père en 1872 par une Antillaise, et internée ; elle finit ses jours dans un asile de Suresnes, en 1915. Dès son arrivée en exil, Adèle avait commencé à rédiger le Journal de l'exil, écrit intime en même temps que carnet de conversations du cercle Hugo, récit de séances spirites... Pour protéger ses confidences, la fille du romancier qui a consacré tant de pages à l'argot, y a adopté l'une de ces formes d'expression, le verlan : Auguste Vacquerie, y devient "Tegusau", Albert Pinson, "Bertal". En rédigeant son journal, elle s'était qualifiée de "femme du XIXe siècle qui s'adresse au XXe siècle". L'histoire d'Adèle H, portée à l'écran par François Truffaut, a, en effet, ému ce siècle.
 
 

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